LA BATAILLE DE LA MARNE

<= L'armée française de l'été 14


La préparation de la contre-offensive: Le 3 septembre, alors qu'à Paris on attend le choc, il apparait que Von Kluck ne foncera peut être pas vers la capitale. Les reconnaissance de cavalerie, les photographies aériennes et même les messages radios captés de la tour Eiffel confirment l'infléchissement de la 1ère armée allemande. Galliéni comprend qu'il s'agit là d'une opportunité: la 1ère armée allemande présente son flanc droit. Le lendemain à la première heure il envoie les escadrilles du camp retranché en reconnaissance; le mouvement vers le sud-est de Von Kluck est confirmé.

Gallieni ordonne immédiatement au général Maunoury, commandant la 6° armée, de se préparer à marcher vers l'est. Il met à sa disposition la 45° division algèrienne. L'évidence d'une opportunité s'impose aussi à Joffre à son QG de Bar-sur-aube. On se battra sur la Marne, et non sur la Seine, et on attaquera l'ennemi de flanc. 

A la tête de la 5° armée, Franchet d'Esperay annonce qu'il est prêt à attaquer le 6, comme Foch et Gallièni. Par ailleurs si la 6° armée maunoury attaque au nord de la Marne, les anglais seront de la partie. Joffre prend donc la décision d'attaquer à l'aube du 6 septembre. 

Le 5 au matin, Joffre rencontre French à Melun et réussit à emporter son adhésion, jusque là incertaine (l'honneur de l'Angleterre est en jeu, monsieur le maréchal!).

Situation le 5 septembre, veille de la bataille de la Marne:

Infanterie positionnée au sud de l'Argonne avant la bataille de la Marne:

infanterie positionnée au sud de l'Argonne

En ce début septembre les unités se reconstituent à partir des dépôts, tandis que la distinction entre unités d'active et de réserve disparait progressivement. Le GQG s'est transporté à Châtillon sur Seine, entre Dijon et Troyes. Le front français est continu mais en deux parties: de Paris à Verdun, et de Verdun à Belfort. Pour l'instant le camp retranché de Maubeuge tient toujours.

La 6° armée Maunoury est sur l'aile gauche, dos à Paris, sur l'Ourcq. Elle représente une force importante mais hétérogène, avec une majorité d'unités de réserve, la 45° division algèrienne (général Drude), la brigade marocaine et le corps de cavalerie Sordet. La BEF est à sa droite, suivi de la 5° armée Franchet d'Esperay auquel est associé le second corps de cavalerie qui vient d'être constitué. Ces trois armées attaqueront la 1ère armée allemande. La 6° armée française menant l'action principale en attaquant de flanc le corps allemand dirigé vers Paris.

Au centre, la 9° armée Foch et la 4° armée de Langle de Carry devront contenir la poussée ennemie, tout en accompagnant le retour offfensif de l'aile gauche française. A droite, tout en s'accrochant au camp retranché de Verdun, la 3° armée Sarrail devra compléter l'action de Maunoury en attaquant vers l'ouest.

Ces armées devront mener la contre-offensive d'ampleur destinée à forcer cinq armées allemandes à refluer vers le nord. Les forces s'opposant sont de 760.000 français et 82.000 britanniques, contre 680.000 allemands. Cet avantage numèrique au profit des alliés devient trés fort à l'est de Paris.

Sur l'aile droite les 2° armée Castelnau et 1ère armée Dubail ménent une bataille séparée dans les vosges et en Lorraine contre les 6° et 7° armées allemandes qu'elles doivent contenir. Les armées bavaroires tenteront du 4 au 13 septembre de percer le rideau défensif aux hauteurs du Grand-Couronné, et de prendre les armées française en tenaille. Le front de Lorraine a cependant tenu. 

Carte de la bataille du grand couronné de Nancy:

Carte de la bataille du grand couronné de Nancy

"Turcos"  montant en renfort:

Déploiement d'infanterie avant la bataille:

Déploiement d'infanterie en rase campagne:


Le 5 septembre: Averti des transferts de troupes de son adversaire, Von Moltke prend conscience du caractère aventureux du raid de Von Kluck. Envoyé par la direction suprême, le lieutenant-colonel Hentsch arrive au QG de la 1ère armée le 5 au soir et informe Von Kluck de la situation. Celui-ci comprend le danger de sa position trop avancée, mais ne s'imagine pas l'imminence de la contre-offensive. Il décide donc de reculer en échelons progressifs de 20km jusqu'au nord de la Marne afin de se réaligner avec la 2° armée Von Bülow, et rédige ses ordres pour le lendemain.

Dans l'aprés midi du 5 septembre, un accrochage a lieu entre une colonne d'infanterie du 55° régiment de réserve de la 6° armée et des unités du corps allemand de flanc-garde devant le village de Monthyon, sur la route de Meaux à Senlis. C'est au cours de cet accrochage que le lieutenant Péguy trouvera la mort. Les premiers coups de canons de la bataille de la Marne viennent d'être tirés. 

Tombe du Lieutenant Péguy et de 200 de ses camarades, à Villeroy:



Le 6 septembre: Vers sept heures et demi, Joffre signait l'ordre du jour de la Marne:

"Au moment où s'engage une bataille dont dépend le sort du pays, il importe de rappeller à tous que le moment n'est plus de regarder en arrière. Tous les efforts doivent être employés à attaquer et à refouler l'ennemi. Une troupe qui ne peut avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles aucune défaillance ne peut être tolérée"

6 septembre message du commandant en chef

Le 6 au matin, Maunoury s'avance vers l'Ourcq. Il est rapidement arrété par Von Kluck qui, averti de l'accrochage de la veille, vient de dérouter un de ses corps en renfort. En fin de journée Von Kluck en déroute deux autres pour déborder la 6° armée. Le rééchelonnement de la 1ère armée se poursuit, et les reconnaissances aériennes montrent d'ailleurs le mouvement de fortes colonnes remontant vers le nord. Ainsi Von Kluck positionne 3 corps d'armées face à Maunoury, tandis que deux autres résistent au sud à Franchet d'Esperay. En adoptant un dispositif en équerre, Von Kluck crée une brêche à l'angle, qu'il ne masque que par un corps de cavalerie. 

La BEF attaque à l'angle, mais c'est sans conviction qu'ils repoussent le cavalerie allemande jusqu'à Coulommiers. Plus à droite, la 5° armée n'avance que de quelques kilomètres, alors qu'avec l'équivalent de 5 corps, il aurait pu envelopper les 2 corps de l'aile gauche de Von Kluck. Deux occasions ratées par French et Franchet d'Esperay.

En revanche face à la 2° armée Von Bülow, la 9° armée Foch avance et s'assure des hauteurs au nord des marais de Saint-Gond.

Il existe malheureusement un vide à Mailly entre la 9° armée Foch et la 4° armée de Langle de Carry, vide dans lequel la 3° armée Von Hausen pourrait s'engouffrer dangereusement. Sollicité par la 4° armée duc de Wurtemberg et la 3° armée Von Bülow, Von Hausen se répartit entre ses ailiers et manque l'occasion. Le 21° corps de la 2° armée arrive alors à point nommé pour boucher le trou.

À droite, la 3° armée Sarrail attaque le flanc gauche de l'ennemi en s'appuyant sur Verdun, mais se fait ramener par la 5° armée du Konprinz impérial. Il existe là aussi un vide entre la 4° armée et la 3° armée à Révigny, vide que vient combler l'arrivée opportune du 15° corps de la 2° armée.

Le soir du 6 septembre, Joffre n'a pas emporté la décision, mais l'ennemi est surpris. Comment une armée qui retraite depuis dix jours a t-elle pu reprendre l'offensive? 


Le 7 septembre: Maunoury cherche enfin à déborder Von Kluck par le nord pendant que le reste de son armée pousse en direction de l'Ourcq. Les deux actions échouent. Von Kluck rappelle alors ses deux autres corps pour en finir avec Maunoury, quitte à agrandir la brêche existante et dégarnir l'aile gauche de Von Bülow. Risque considérable, mais la 6° armée ne peut tenir face à une 1ère armée allemande au complet. La brêche n'est masquée que par 2 corps de cavalerie et une division de flanc-garde. Or l'un de ces corps de cavalerie se replie, ouvrant carrément la voie aux britanniques. 

La BEF avance, mais sans connaitre l'existance de ce vide. Ils auraient pu prendre à revers le 2° corps allemand, autre occasion manquée. La 5° armée, épuisée, avance prudemment, franchit le grand Morin et s'arrête peu aprés.

Les 9°, 4° et 3° armées françaises résistent aux coups de butoirs allemands. 

Il n'y eut rien de décisif ce jour là. Le seul événement majeur est la chute du camp retranché de Maubeuge au terme de dix jours de siège, alors que la place aurait pu tenir plus longtemps si elle avait été mieux commandée. 


Le 8 septembre: Maunoury tente sa chance sur son aile droite, au sud, mais il s'enlise dans des combats frontaux alors qu'il doit passer à la défensive, étant débordé sur sa gauche. Gallièni se rend compte en début d'aprés-midi qu'il a en face de lui au moins trois corps d'armées dotés d'artillerie lourde. 

En revanche la brèche allemande s'agrandit. La cavalerie britannique s'engage timidement sans pousser tandis que la 5° armée franchit enfin le petit Morin et repousse la division allemande de flanc-garde. Particulièrement conscients de ce vide, Von Moltke envoie à nouveau Hentsch en mission. Von Bülow et lui se concertent et se convainquent de la nécessité d'un recul. 

Au centre cependant les assauts allemands mettent à mal les armées françaises. La 9° armée Foch vacille sous les assauts, le 11° corps sur sa droite recule au delà de Fère-Champenoise tandis que la division marocaine au centre est refoulée sur Mondement. À droite, Langle de Carry tient bon, mais Sarrail se voit sur le point de perdre à nouveau contact avec lui. Joffre autorise donc Sarrail à se replier vers le sud et à abandonner Verdun (camps retranché qui peut résister).

Joffre ne désespère cependant pas de réussir sur l'aile droite de Maunoury ce qu'il n'a pu réussir sur sa gauche, et prescrit pour le lendemain d'accentuer l'effort de la BEF et de la 5° armée, même s'il n'a pas encore conscience de la brèche laissée par les allemands.

Ainsi, la contre offensive de Joffre ne tient elle pas encore ses promesses, le 8 au soir, mais commence à faire perdre les initiatives à l'ennemi.


Le 9 septembre: Von Kluck parvient enfin à déborder l'aile gauche de Maunoury sur l'Ourcq et à le contraindre à reculer. Paris s'attend à la bataille pour le 10. Mais alors que la 6° armée est sur le point de plier Von Kluck apprend que les anglais ont franchi la Marne à la Ferté sous Jouarre. Même si une fois de plus les britanniques n'exploitent pas l'occasion, leur simple présence dans le dos de la 1ère armée crée un choc aux stratèges allemands.

En remarquable tacticien, Von Kluck décide de faire reculer son aile gauche en garde face au sud tout en espérant obtenir la décision sur sa droite. Averti du recul de Von Bülow, et bien que se sentant trés prés du but, Von Kluck n'a d'autre choix que de reculer pour resouder les 1ère et 2° armées allemandes. Or celles-ci prennent des directions opposées qui agrandissent encore la brèche!

Pendant ce temps la 3° armée Von Hausen mène encore la vie dure à la 9° armée Foch, qui accomplit des prouesses pour tenir. Von Hausen sent la victoire à portée de main, lorsqu'il reçoit en début d'aprés-midi l'ordre de retraite.

Par effet de continuité, les autre armées allemandes doivent en effet suivre le mouvement, qui devient général le 10, afin de conserver leur alignement. Elles retraitent cependant méthodiquement, en bon ordre, et il faut bien le dire, à leur rythme. 

Fatiguées, les armés françaises ne suivent que mollement, sans se rendre toujours compte que l'ennemi retraite plus qu'il ne combat.

Assaut du chateau de mondement, repris aux hanovriens aprés de violents combats:

Assaut du village de Lehnarée


Le 10 septembre: French et Maunoury se rendent compte vers midi que le terrain est libre et que le contact est perdu, la 1ère armée allemande s'étant retiré de nuit. La 9° armée Foch remonte vers le nord, traverse Fère-Champenoise et s'arrête au delà des marais de Saint-Gond. Joffre a compris que le sort des armes vient de basculer, et prescrit pour le lendemain une poursuite frontale. 

Le 11 septembre: Les alliès avancent prudemment et suivent plus qu'ils ne poursuivent. A gauche le corps de cavalerie atteint Verberie, sur l'Oise, la 6° armée traverse la forêt de Villers-Cotterêts, la BEF est à Fère-en-Tardenois, le 2° corps de cavalerie et la 5° armée s'arrêtent au sud de la Vesles, la 9° armée borde la Marne d'Epernay à Châlons.

L'ennemi recule, plus du fait du haut commandement allemand que de la pousée des alliés. Von Kluck franchit l'Aisne entre Archery et Soissons. Von Bülow se retire derrière la Vesle. La brèche créée au sud de la Marne existe encore au niveau de Fismes, masquée par deux brigades d'infanterie seulement. Se rendant pour la première et dernière fois sur le front Von Moltke ordonne un recul supplémentaire. 

Se rendant compte que l'ennemi n'est pas en déroute et que continuer à le suivre revient à l'affronter prochainement, Joffre décide de le déborder par la gauche et donne ses ordres en conséquence. La 9° et 4° armées devront repousser l'ennemi vers le nord-est, tandis que la 3° poussera vers le nord. La 6° et 5° armée ainsi que la BEF devront déborder l'ennemi, avec en renfort le 15° corps prélevé sur l'armée de Sarrail. 

Joffre rédige le soir même un premier bulletin de victoire qui sera connu des unités le lendemain, 12 septembre:

"La bataille qui se livre depuis cinq jours s'achève sur une victoire incontestable... La reprise vigoureuse de l'offensive a déterminé le succés. Tous, officiers, sous-officiers et soldats, vous avez répondu à mon appel. Vous avez bien mérité de la Patrie"


Le 12 septembre: Von Kluck qui avait franchit l'Aisne s'établit en défensive. Von Bülow se retranche sur la Vesle à l'est de Reims, laissant ainsi la brèche ouverte. Les britanniques traversent alors la Vesle à Braine, tandis que la 5° armée la traverse à Fismes. Von Bülow recule à nouveau sur l'Aisne tandis que la brèche existe encore.

Pourtant les allemands attendent eux aussi de pouvoir se rétablir, et attendent en particulier le corps libéré de Maubeuge et un autre qui a été pris à gauche à la 7° armée. Assez rapidement la fameuse brèche est comblée et le front devient infranchissable.


Le 13 septembre: Maunoury cherche à déborder l'ailde droite de Von Kluck, mais se heurte aprés avoir franchi l'Aisne à un corps placé en retrait. French est lui aussi bloqué. Au centre Franchet d'Esperay entre en triomphe dans Reims, mais ne peut dégager complétement les alentours de la ville. Quand Franchet d'Esperay découvre enfin la fameuse brèche, il est trop tard, elle se referme déjà, et son 18° corps ayant franchit l'Aisne se heurte au corps libéré de Maubeuge. 

Le 2° corps de cavalerie traverse également l'Aisne et poursuit plein nord jusqu'à Sissonne. Le 4° groupement de divisions de réserve pourrait s'engager pour exploiter au-delà de Berry-au-Bac, mais n'ose poursuivre, étant en pointe et sans soutien. Von Bülow dirige sur ces deux formations ses propres réserves et le corps de la 7° armée. Le corps de cavalerie et le groupement de divisions de réserve doivent battre en retraite le lendemain. 


Les 14 et 15 septembre: trois nouveaux corps allemands pris sur les 3°, 4° et 5° armées et placés sous les ordres du général Von Steinmetz arrivent par le pont de Neuchâtel et verrouillent enfin la brèche. Les 9° et 4° armées françaises sont stoppées devant les positions allemandes organisées et solides. La contre-offensive de la Marne vient de s'achever. 

Conclusion: Redressement inattendu, le miracle de la Marne a montré le courage et la valeur du soldat français. Rendue possible par les erreurs du commandement allemand, cette victoire est de façon tragique une succession d'occasions manquées par les vainqueurs, qui n'ont pas saisi les opportunités qui se présentaient par manque d'audace ou du fait de reconnaissances insuffissantes. Les allemands aussi ont du reculer alors qu'ils étaient trés proche d'une victoire. Si Von Moltke s'était comporté en chef ou si Von Bülow avait eu plus d'audace, le sort des armes aurait sans doute été différent. 

Charleroi a marqué la fin du plan XVII, la Marne celle du plan Schlieffen. La course à la mer a été une défaite pour les deux camps qui ont du s'enterrer pendant plus de trois ans.


Cadavres allemands

Cadavres allemands

Drapeau pris à l'ennemi en novembre 1914 alors que la guerre des tranchées vient de commencer (49° régiment d'infanterie de ligne allemande)

Les neuf premiers drapeaux pris à l'ennemi (août 1914 - Février 1915) - exposés dans la chapelle des invalides



Source:  L'armée française de l'été 1914 - Henri Ortholan ; Jean-Pierre Verney - Bernard Giovanangeli Editeur - 2004
Histoire de la grande guerre - Henry Bidou - Gallimard