LE FUSIL GRAS

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Historique: La catastrophe de 1870 avait balayé la routine et les préjugés, et l'adoption de la cartouche métallique devenait évidente pour tout le monde. En effet si le fusil chassepot donnait satisfaction, sa cartouche combustible fut l'objet de toutes les critiques. Deux armes étaient immédiatement disponibles et suceptibles d'une fabrication rapide, le fusil remington déjà utilisé pendant la guerre et le fusil hollandais De Beaumont. Les allemands ayant adoptés un fusil à verrou tirant une cartouche métallique, on abandonna chez nous le fusil remington à bloc rétrograde. Le fusil de Beaumont a une histoire particulière. Avant guerre le gouvernement hollandais passa commande d'une dizaine de milliers de fusils tirant une cartouche métallique et inventés par un certain M. de Beaumont. Un début d'exécution avait eu lieu mais la manufacture de Saint-Etienne reçu l'ordre d'arrêter la fabrication pour se lancer dans celle des chassepots. La fabrication de ce fusil était néanmoins prête à démarrer.

Devant l'urgence de la décision il ne restait que deux solutions: le fusil de Beaumont ou un Chassepot modifié pour tirer une cartouche métallique. En 1873 le capitaine Basile Gras, adjoint au secrétaire du comité d'artillerie, présenta un Chassepot modifié pour le tir des cartouches métalliques. Les deux armes furent testées en corps de troupes et donnèrent d'excellents résultats. Le fusil Gras fut adopté car il ne nécessitait pas de modifications particulières et que l'on pouvait rechambrer les nombreux fusils Chassepots existants. L'arme fut réglementairement adoptée par décision présidentielle le 7 juillet 1874. La fabrication s'étendit sur neuf ans, de 1874 à 1883. En 1884 l'armement de notre armée en fusils du système Gras fut considérée comme terminée.


Les différentes armes du système Gras: On a trois modèles différents quant à leur origine:

Modèle 1866-74T: on a une transformation du fusil Chassepot par rechambrage, le canon de l'arme étant encore en bon état. Il est procédé à l'alésage de la chambre et une pièce cylindrique est emmanchée à force dans cette alésage. 

Mle 1866-74N: on a une transformation du fusil Chassepot par recanonnage, le canon de l'arme étant en mauvais état. Il est procédé à son échange complet et au fraisage du logement de l'extracteur sur la boîte de culasse. 

Dans les deux cas la culasse est remplacée et matriculée, l'arme est bronzée, la hausse est remplacée, la baguette de nettoyage est modifiée et un taquet destinée a recevoir la partie filetée de la baguette est brasé sur l'embase avant du pontet.

Modèle 1874 natif: arme construite neuve

Outre le fusil il existait une carabine de cavalerie et un mousqueton d'artillerie dérivés:

Les différents types de fusil Gras


Le fusil Gras: L'arme est entièrement bronzée noir, et extèrieurement on ne peut pas distinguer un Gras natif d'un Chassepot transformé. 

Mécanisme du fusil gras:

Mécanisme du fusil gras

Mécanisme du fusil gras

Contrairement au fusil Chassepot, le chien du fusil Gras s'arme tout seul quand on ouvre la boite de culasse et que l'on tire le verrou en arrière. Le percuteur est aussi nettement plus solide que l'aiguille, point faible de l'ancienne arme. Un cran de sureté permet de conserver l'arme chargée sans cependant garder le chien en position du bandé. Un dispositif extracteur permet d"éjecter la douille lors du rechargement. 

Mécanisme déposé du fusil gras

Mécanisme de détente

Canon en acier puddlé fondu: Il a la même forme et les mêmes dimensions  que celui du fusil Chassepot, hormis la forme de la chambre. Il s'agit d'un tronc de cone qui va en s'amincissant du tonnerre à l'embouchure.

Canon du fusil gras

Boite de culasse et appareil de détente:

Boite de culasse du fusil gras    Appareil de détente

Appareil de fermeture: cylindre (à gauche) et tête mobile (à droite)

Appareil de fermeture - cylindre     tête mobile

Le percuteur et le manchon qui le relie au chien: Le percuteur est une tige d'acier de 7,1mm de diamètre, sur lequel un épaulement sert d'appui au ressort. Le ressort à boudin est fabriqué avec un fil d'acier de 1,5mm de diamètre pour 75mm de longueur (20 spires). A l'armé il exerce une force de 13kg environ

Percuteur

Chien et manchon: le manchon sert à relier la percuteur au chien. Il affecte donc une forme en T qui correspond en creux à celle de l'extrémité postèrieure du percuteur.

Le chien    Fusil gras manchon 

Extracteur:

Extracteur

Hausse: elle se compose d’un pied brasé à l'étain, d’une planche mobile et d’un curseur à rallonge. La graduation va jusqu'à 1800m (pour le tir de salve).Les crans de mire du curseur et ceux de la planche ne se trouvent pas exactement dans le plan du tir, mais sont déviés à gauche de quantités variables pour chaque cran pour corriger les déviations dues à la dissymétrie de l’arme.

Hausse du fusil gras

Monture: Elle permet de loger et de relier les pièces de l'arme ainsi que d'épauler

Monture du fusil gras

Baguette: elle permet de nettoyer l'arme et de décharger l'arme en cas de douille coincée

Baguette du fusil gras

Embouchoir avec son ressort de fixation: Il permet de maintenir le canon sur le bois prés de la bouche

Embouchoir du fusil gras

Grenadière avec son ressort de fixation: elle permet de maintenir le canon en son milieu et porte l'un des battants auxquels s'attachent la bretelle (l'autre battant se fixe sur la crosse)

Grenadière du fusil gras

Bouterolle et pontet:

Bouterolle et pontet du fusil gras

Nécessaire d'armes:

Nécessaire d'armes du fusil gras


Cartouches métalliques:La cartouche du fusils Gras n'est guère qu'une cartouche Chassepot dans un emballlage en laiton. On a le même calibre, la même masse du projectile et quasiment la même charge de poudre noire.

La douille est en laiton embouti et présente un culot massif au centre duquel est aménagé un logement pour l'amorce. Celle-ci se compose de l'amorce proprement dite en cuivre rouge chargée de fulminate, maintenue par un couvre amorce en laiton (maintien et étanchéité). Lors du tir la capsule s'écrase contre l'enclume f et le feu se propage par les évents h. La balle légèrement tronconique est en plomb pur comprimé entouré d'un papier enveloppe, pour éviter le plombage des rayures. Un léger évidement à l'arrière sert à loger le tortillon que l'on forme pour fixer le losange de papier enveloppe. Elle repose sur une rondelle de feutre gras (4mm d'épaisseur) entouré de deux rondelles de papier glacé (0,6mm d'épaisseur). La balle est ensuite sertie dans la cartouche puis graissée par un bain de graisse trés chaud (graissant la balle et la moitié du papier enveloppe, en évitant avec soin de graisser le métal de la cartouche, ce qui peut amener la rupture pendant le tir). Types:

  • Modèle 1874 à balle cylindro-ogivale en plomb pur (25 gr) et charge de 5,25 gr de poudre F1. Cette cartouche ne donna pas satisfaction (grosses irrégularités de tir, justesse des plus médiocres due à d'importantes variations de vitesse initiale)
  • Modèle 1879 à balle cylindro-ogivale en plomb pur (25 gr) et charge de 5,25 gr de poudre F1 ou F3. Le culot est renforcé, la hauteur du calepin réduite et le serrage de la balle dans l'étui mieux contrôlé. On obtint une plus grande tension de la trajectoire, des portées correspondants presque exactement aux indications de la hausse, et une meilleure justesse due à une plus grande régularité des vitesses initiales. 
  • Modèle 1879-83 à balle à méplat en plomb durci (25 gr) et charge de 5,25 gr de poudre F1. Il s'agit de la cartouche définitive du système Gras. Le méplat et le plomb durci améliorèrent la précision du tir (l'ancienne balle, fabriquée par coulage, se déformait irrégulièrement suivant son axe lors du départ du coup).
  • Modèle 1874-79 à blanc sans balle chargée de 5,25 gr de poudre B, F1 ou F3 ou 4,5 g de poudre à fusil ordinaire
  • Modèle de tir réduit à balle sphérique en plomb pur de 8,7 g chargée de 0,4 gr de poudre B, F1 ou F3

Cartouches du fusil gras

Cartouche d'époque du fusil gras


Cartouchières: Le soldat était doté d'une giberne contenant une partie des 78 cartouches de dotation, le reste étant emporté dans le sac, puis à partir de 1877 de deux cartouchières contenant des paquets de six cartouches.

Cartouchières 1877:


Baïonnette du fusil gras: Il s'agit d'une épée baïonnette équipant le fusil et le mousqueton d'artillerie. Elle remplace avantageusement l'extravagant sabre baïonnette yatagan du Chassepot, accessoire qui avait sacrifié à la mode du moment au détriment de l'efficacité. Toutefois les deux baïonnettes étaient interchangeables et de nombreux fusils Chassepot transformés Gras furent livrés avec leur ancienne baïonnette, par souci d'économie. La carabine de cavalerie n'a pas de baïonnette, tandis que la carabine de gendarmerie est équipée d'une baïonnette à douille quadrangulaire. 

Baïonnette du fusil gras

Epée baïonnette du fusil Gras

Baïonnette gras avec son fourreau


Balistique: La hausse de combat est de 200m, la portée efficace est de 1500m, tandis que la portée maximale sous un angle de 30° est de 3000 à 4000m selon la température.

Flèches à mi-portée:

Fléches des armes du système gras

Zones dangereuses:

Zones dangereuses du fusil gras et dérivés

Ordonnées de 100m en 100m des différentes trajectoires pour une température de 20°C et sous 760mm de mercure:

Trajectoires des balles de fusil gras

Angles des trajectoires et durée:

Angles des trajectoires


Renseignements sur les fusils, carabines et mousquetons français des années 1870:

Renseignements numériques sur les armes du système Gras

Renseignements numériques sur les fusils des autres puissances européennes des années 1870:

Comparatif armement des nations européennes


Les fusils Gras à répétition: En 1878 la marine française passa directement du fusil Chassepot à un fusil à répétition du système Kropatschek qui utilisait la culasse et la cartouche du fusil Gras (cf. Le fusil de Marine modèle 1878). Perfectionné pour servir dans l'infanterie il donna naissance au modèle 1884, qui est en fait le modèle 1878 mais fabriqué en France, et au modèle 1885, qui est de conception et de fabrication française et l'ancêtre direct du fusil Lebel.Durant la grande guerre des Gras à répétition seront donnés à certains corps (infirmiers, douaniers, sapeurs pompiers, etc.) en remplacement de leurs lebels qui seront utilisés sur le front. D'autres seront cédés à la Russie avec des fusils Gras à un coup. 

De haut en bas: fusil modèle 1878, modèle 1884 et modèle 1885

Fusils modèles 1878 1884 1885

Fusil à répétition modèle 1884:

Fusil à répétition modèle 1884

Fusil à répétition modèle 1885:

Fusil à répétition modèle 1885


Evolution: On aurait pu penser au début du XIX° siècle que le fusil Gras était mort de sa belle mort. Mais des millions d'armes quasiment neuves soigneusement stockées dans les magasins ne pouvaient disparaitre de l'histoire comme cela. Au début de la grande guerre les fusils Gras ressortirent pour armer les garde-voies, hommes âgés volontaires pour assurer la sécurité de nos transports ferroviaires. Aprés les premières batailles, pour faire face au déficit en armes on transforma le fusil Gras pour lui faire tirer la moderne cartouche Lebel. Cette modification était facilitée par le fait que le culot de la nouvelle cartouche reprenait les côtes de l'ancienne. En 1915 450000 exemplaires seront fournis à la Russie tsariste et durant tout le conflit de nombreux exemplaires serviront à fabriquer des lance-fusée pour notre armée de terre ou des lance-amarres pour notre marine.

Entre les deux guerres on en distribua aux gardiens de prison, et quelques autres furent transformés en fusils de chasse. Beaucoup prirent le chemin de l'Europe centrale et de l'Afrique. C'est ainsi que pendant la seconde guerre mondiale les troupes allemandes essuyèrent des feux de fusils Gras aux mains des maquisards grecs et yougoslaves. En France même les fusils Gras sortirent une dernière fois des magasins en 1939, pour armer les troupes de secondes lignes. 

Soldats de la réserve territoriale armés de fusils et carabines Gras:

Soldats de la territoriale armés de fusils Gras

Sentinelles armées du fusil Gras en 1914

   

Sources: Les armes françaises
Gazette des armes n° 95 et 97 de juillet et septembre 1981
Gazette des armes n°140 avril 1985
Manuel du fusilier marin - Librairie J.Dumaine - 1877

Collection du journal L'image de la guerre